Avril 1957
Récits de la Bataille d’Alger par Yacef Saâdi : Opération “Bérets verts”
Vers le mois d’avril 1957, un dispositif militaire colossal investit Alger pour “maintenir l’ordre”. Apparaît alors dans ce climat de guerre et de représailles, le mythe du para chez les Européens. L’organisation de la Zone Automne d’Alger se devait d’agir contre la prétendue invincibilité des parachutistes qui n’hésitaient d’ailleurs pas à mitrailler des innocents arrachés de leurs gîtes modestes, comme au chemin Vauban. Des témoignages rapportent qu’ils tiraient à bout portant sur des succombants. Yacef Saâdi, chef historique de Z.A.A. raconte la brutalité bestiale de ces militaires, les connivences occultes qu’ils entretenaient avec des parties qui, elles aussi, mettaient à l’occasion toute leur fureur haineuse pour exécuter les basses œuvres. Les fidayine ont répliqué par des opérations spectaculaires. le cycle sanglant de la guérilla urbaine s’enclenche.
Vers la fin du mois d’avril 1957, une partie de la grosse concentration de troupes décroche d’Alger ne conservant qu’une trentaine de milliers d’hommes appuyés par le colossal dispositif d’intervention du secteur Alger-Sahel pour « maintenir l’ordre » dans la capitale. Les cinquante-mille hommes prélevés d’Alger rejoignent la Kabylie, le massif blidéen jusqu’à Djelfa au sud et les contreforts de l’Ouarsenis dans le nord-ouest.
A la même période, à Alger, le parachutiste devient un véritable objet de culte. Le mythe personnifié du héros s’incruste à vive allure dans les mœurs des Européens d’Alger. «Le pied-noir » ne jure que par lui . Les hommes en tenue de camouflage devinrent des objets d’admiration.
Pourtant, en dépit d’une image tout à fait négative, paradoxalement le mythe du para progressait La question était de savoir comment stopper la progression.
Et si on tentait une opération para pour rappeler que nous existons ? dis-je à Ali la Pointe. La suggestion lui convenait. Il approuva. Donc on était d’accord pour marquer le coup à un moment où, il est vrai, notre « absence » relative du terrain avait dû faire croire à certains des nôtres que nous étions finis. L’ordre est fixé au 2 mai 1957. C’est évidemment à Ramel qu’échoit la tâche de conduire le bal avec la consigne de ne viser que les militaires, officiers, sous- officiers mais en priorité les parachutistes. L’offensive devra se poursuivre pendant quelque temps.
Ramel à bien saisi le fond de mes intentions. Il le démontre dès le lendemain. En effet, pendant plusieurs jours, on ne parle que des paras. Des paras qui tombent et dont les fidaïs arrachent la coiffe au passage en guise de trophée. C’est d’ailleurs Ahmed Chicha (de son vrai nom Benchiha ) un redoutable baroudeur de la Z.A.A., qui a eu cette idée de rapporter la casquette du parachutiste une fois celui-ci passé de vie à trépas. C’est nouveau et même stimulant dans un certain sens.
Enfin, la cote du combattant de l’ombre, la nôtre, s’est mise à grimper à nouveau et, inversement, le mythe du para à régresser. L’enthousiasme engendré par cette « flambée » diffuse mais efficace n’a pas, cependant, manqué de nous inciter à accentuer la pression. En effet, le nombre de plus en plus important de parachutistes éliminés alternant avec des soldats des autres armes accusant la même courbe en augmentation, a de quoi griser les esprits. Je me dis alors « nous tenons le bon bout…».
Erreur ! Car le 17 mai 1957, un coup d’arrêt brutal nous est assené. Une initiative pleine d’audace prise par Ahmed Chicha vient mettre fin à notre enthousiasme. L’événement a lieu aux abords immédiats du chemin Vauban, dans le quartier du Ruisseau, au nord. Chicha n’a pas transgressé les consignes d’usage, il a simplement innové en arrachant les casquettes des paras.
Mais en un mot pour dépeindre notre héros. Chiha était un solitaire. II n’était pas le seul au sein de la Z.A.A. Il y avait eu avant lui Arezki Lounis qui, à chaque fois, qu’il devait accomplir une mission dangereuse ou comportant des risques y allait seul. N’étant pas sournois de nature, Chiha recherchait toujours les endroits les plus exposés pour agir.
En agisssant en solitaire, il avait sans doute voulu que la peur bascule dans l’autre camp. Et c’était-là le sens de la campagne lancée le 2 mai contre le mythe de l’invincibilité du para. Comme Ali la Pointe à son apogée, Chiha multipliait les interventions. Et à chaque fois, il revenait à sa base de départ avec étrennes bérets verts, rouges ou noirs comme autant d’emblèmes des différents régiments composant la l0e Division de parachutistes. Ceci jusqu’à ce jour fatal du 17 mai où il choisit pour cible deux énièmes parachutistes à abattre à bout portant. En effet, pas de loin de là, au chemin Vauban, était installé un détachement du premier régiment de parachutistes coloniaux (R.C.P.).
Il est plus de 20 heures. Dans l’attentat, un troisième parachutiste échappe à Chiha, il s’enfuit et rejoint le cantonnement. Là, il donne l’alerte . Aussitôt, des parachutistes accourent vers le lieu où leurs camarades sont étendus à terre, morts . Armés de pistolets mitrailleurs et de grenades à main, ils entreprennent machinalement de ratisser les alentours. Décidés à se venger, les paras, une quarantaine environ, se ruent en direction du bain maure (les bains maures servent aussi de dortoir pour les sans-logis.) et des autres maisons du quartier. Ils en extirpent une centaine d’Algériens qu’ils alignent contre le mur à l’intersection du chemin Vauban et de la rue Polignac et qu’ils mitraillent ensuite sans l’ombre d’une hésitation. Le 18 mai 1957, un procès-verbal a été établi sur ordre du commissaire d’arrondissement. Le témoin répond au nom de Fontaine Paon. C’est un agent de sécurité publique, voici son témoignage «Aussitôt nous nous sommes transportés vers le lieu d’où provenaient les rafales de mitraillettes. Arrivés à l’angle du chemin Vauban et de la rue Polignac, nous avons constaté que, sur le trottoir de droite, en direction de l’usine électrique étaient allongés une quarantaine d’individus, quelques-uns d’ailleurs étant entassés les uns sur les autres. Parmi eux se trouvaient des morts et des blessés. Un groupe d’une quarantaine de militaires se trouvait à proximité et continuait à tirer des coups de feu en direction des succombants . Ces militaires appartenant à une unité de parachutistes béret bleu obéissent aux injonctions d’un commandant d’une unité territoriale que je n’ai pu identifier . Une fourgonnette et une ambulance de l’armée sont arrivées sur ces entrefaites . Ils ont acheminé des blessés en direction de l’hôpital le plus proche. Les morts ont été évacués en fourgon … ».
Saisi de l’affaire par dossier établi le 21 mai 1957 portant le numéro d’enregistrement 139.1.42, le commandant de la subdivision territoriale d’Alger en matière de justice militaire ne daigna pas ouvrir ne fût ce qu’une procédure d’information En fait de parachutistes, la horde vengeresse qui avait immédiatement accouru vers le chemin Vauban et la rue Polignac, était commandée par un gradé (commandant) d’une unité territoriale, indique le procès-verbal établi à la demande du commissaire d’arrondissement Lafarge Maurice et de son officier Soudaye Maurice.
En effet, le procès-verbal établi par le commissariat d’arrondissement ne laissait subsister aucun doute sur l’origine « pied-noir » du commandant qui dirigeait les commandos de la mort. Bien mieux ! Il était commandant d’une unité territoriale. Par quelle étrange procédure commandait-il, ce soir-là des soldats appartenant à un détachement du 1er R.C.P. ? Quel était son nom ? On ne le saura jamais.
Quel rôle occulte jouait-il chez les paras ? Ce sont des questions de ce genre que nous eussions souhaité trouver dans le procès-verbal du commissariat.
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, les U.T. (Unités territoriales) étaient des formations militaires dont les effectifs se composaient uniquement, plutôt exclusivement, de « pieds-noirs» disposant d’armes sophistiquées et même parfois de cuirassiers comme leurs homologues les Unités Territoriales Blindées (U.T.B.) dont le commandement avait été confié en 1956 au général Faure, l’homme qui avait failli renverser la 4e République avant l’heure.
U.T.B. et U.T. étaient à vrai dire, des unités combattantes dont les effectifs n’exerçaient pas à temps plein mais par période allant de 45 jours à trois mois. Ceci ne les dispensait pas de garder armes et munitions par devers eux en permanence. Outre cela, les paras qui s’étaient rués sur les paisibles musulmans se trouvant à proximité, connaissaient mal l’endroit. Ce fut un « pied-noir», encore un , qui leur servit de guide. Son nom, Ferrer Robert, demeurant à Hussein Dey. Si cela se trouve, C’était un homme qui, familier des Algériens, n’hésitera pas un seul instant, le lendemain du massacre, à aller goûter au couscous familial auquel les Algériens invitaient volontiers leurs amis « pieds-noirs».
Les représailles
Dans la guerre urbaine, ce ne sont pas les ressources qui manquent : ruses, subterfuges, malignité etc… constituent toute une panoplie pour ceux qui ont à cœur d’envenimer l’atmosphère d’une ville. Mais la bombe c’est avant tout le choc inattendu qui ébranle.
Le recours à l’usage de la bombe nous était donc vital . Alors, j’expédiai en le diligentant un message à Chérif Debbih (Si Mourad) pour lui demander de se tenir prêt à intervenir en urgence dans une action de représaille devant venger nos frères morts , au chemin Vauban.
On m’avait soumis quelques temps auparavant, un plan consistant à bourrer d’explosif des lampadaires de l’éclairage public implantés dans divers endroits de la ville européenne, mais pour une raison de peu d’importance, je dus en reporter l’exécution.
L’idée des lampadaires était née lors d’une discussion informelle entre membres du réseau des bombes. C’était un jeune employé des P.T.T., membre du réseau, qui en avait suggéré le principe.
Sa suggestion fut adoptée et on entreprit aussitôt d’en fignoler les contours. Le projet, prêt à l’exécution, fut mis sous le boisseau. Et voilà qu’il refaisait surface. Mais cette fois c’était la bonne. Les cibles furent choisies, elles étaient au nombre de trois. Donc exigeant trois équipes (légères) d’artificiers et un accoutrement idoine . Comme l’éclairage public relevait de la competence de I’ E.G.A. (Electricité et gaz d’Algérie) l’uniforme des employés de cette grosse firme suffirait à faire passer nos « plombiers » du réseau des bombes pour de vrais agents de l’E.G.A. Pour ce faire, la mise au point du projet exigea huit jours pleins de travail méticuleux :
Sélectionner les agents pour le transport des charges, pour fixer les itinéraires à leur acheminements près des cibles etc….
Trois hommes furent choisis pour cette phase préparatoire Zmenzer Nourredine et Mehdaoui Abdenour, tous deux employés des P.T.T., et Stasaïd Mohamed, un jeune dynamique et vaillant membre à la fois du réseau et des groupes armés.
Par ailleurs, Zmenzer et Mehdaoui n’étaient pas des nouveaux venus. En tant qu’agents de maintenance des câbles téléphoniques et télégraphiques « au-dessus de tout soupçon » et bénéficiant des facilités d’accès liées à leur profession, ils avaient déjà pu introduire au mois de décembre 1956 des bombes qui, en explosant, avaient paralysé une bonne parties des services techniques de la ville.
A l’approche du jour «J», la fièvre des préparatifs augmente. Les équipes transport et artificiers, sont déjà formées.
La seconde et dernière phase est également entamée. Il ne reste que la touche finale : le déguisement. Pour cette dernière formalité, nous nous sommes adressés à Berami Mahmoud, magasinier à l’E.G.A., qui a mis à notre disposition tout ce que nous lui avons demandé, casquettes, chaussures professionnelles, tenues et même les écussons attestant que nos agents appartiennent « réellement » à la grande compagnie du gaz et de l’électricité. Mais avant de mettre le feu aux poudres, nous nous sommes aperçus que nous ne disposons pas des clefs pour ouvrir les niches d’intervention servant aux réparations des lampadaires en cas de panne. Après réflexion et grâce à Mahmoud Hadda, nous avons pu nous procurer les originaux des clefs servant à ouvrir les cavités des socles. Après les contre-façons nous les lui avons rendues. Entre-temps la filière s’est affinée. Les bombes ont été entreposées chez Omar Aïchoun au cercle du progrès dans la basse Casbah. Omar Aïchoune a été le premier président de l’U.G.C.A. (Union générale des commerçants Algériens).
Les charges ont été ensuite transférées dans un lieu sûr de la rue Rigodit à Belcourt. La date de l’opération a été fixée au 3 juin 1957. Ce jour là c’est à Ali Berrezouane de se déplacer jusqu’ à Belcourt pour procéder au réglage, la première bombe devant exploser au Moulin, un quartier distant d’environ 1 km de la place de l’Agha, la seconde à l’Agha même et la troisième rue Alfred Lelluch au flanc de la Grande-Poste, entre 17 h 45 et 18 h15. Mais avant l’heure fatidique, il fallut s’acquitter d’une ultime tâche : celle du transport des faux agents de I’E.G.A. jusqu’au pied de l’ouvrage Cette dernière mission est revenue à Boussalem dit Moh-Ouchen lequel, grâce à une « deux chevaux » Citroên, a réussi à transporter l’ensemble des servants au moment convenu.
Le 3 juin, comme prévu, un premier lampadaire explose pas loin du marché « Clauzel » . Il est 17 h 45 On compte de nombreux morts et blessés. Un quart d’heure plus tard, une seconde charge transforme le deuxième support d’électricité en une masse informe, apocalyptique, une effroyable allégorie. Cest la panique à proximité du commissariat central D’abord tétanisés, les policiers se ruent ensuite vers la place de l’Agha où ils découvrent l’horreur, un magma de morts et de blessés entremêlés. Mais à peine commencent-ils à organiser les secours qu’une troisième explosion , donc un troisième lampadaire pulvérise la devanture des magasins «Veuve Côte » rue Alfred Lelluch. La aussi, le même spectacle d’horreur bouscule l’ordre des choses.
Nos artificiers, quant à eux ont pu regagner sains et saufs leur base arrière . Plus tard, l’un des acteurs, Hamid Méraoubi meurt au maquis, Azzouz Boualem, l’auteur des lampadaires du « Moulin » et de «l’Agha» est capturé quelque temps après. Enfin, Boussalem Ali surnommé Moh-Ouchen a disparu comme des centaines d’autres Algériens.
Y.S.
sur site le 04/07/2002
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——-C’est maintenant un hommage qui est rendu à tous ceux qui, sous cet uniforme, sont « restés sur la Piste sans fin », offrant leur jeunesse, leurs espoirs, leur courage, leur sang parfois si loin de la métropole, là où la France engageait son Armée. Parachutiste en Algérie – Tenue modèle 56 pour parachutistes ——-Silhouettes devenues célèbres, aussi bien dans les villes qu’elles protègent que dans les djebels où elles traquent les rebelles : les Troupes Aéroportées imposent leur style « souple, félin, manoeuvrier ». Parachutiste pendant une opération – Tenue allégée 1957
——-Des plaines côtières aux pitons rocheux et des forêts de chêne-lièges au sable du désert, les parachutistes vont sur les traces des Commando parachutiste de l’air -G.C.P.A. 541 14 juillet 1957 Paris
——-L’armée de l’Air engagea dès 1956 en Algérie une Unité de Commandos qui « ressuscitant la tradition des Aviateurs Parachutistes » allait se spécialiser dans cette lutte antiguerrilla. |
——Dès 1957, un quatrième commando était mis sur pied et en 1959, un cinquième. Les Commandos de l’Air formèrent une Unité Aéroportée à part entière et se spécialisèrent dans les héliportages, le guidage de la Chasse aérienne sur les objectifs au sol. Ils fournirent les mitrailleurs aux hélicoptères armés et participèrent aux missions des Forces de Réserve Générale. Béret vert d’un régiment étranger de parachutistes – R.E.P. ——-Issus des 1er et 2° B.E.P. d’Indochine, qui se sont couverts de gloire au cours de nombreux combats et disparaissant dans la fournaise de Dien Bien Phu, les R.E.P. formèrent en Algérie le Fer de Lance des Divisions Parachutistes. ——-Note : En Indochine les Parachutistes sont composés d’Infânterie, d’Artillerie, de Génie et de Commandos. La Marine fournit une Unité G Commandos. En Algérie à ces spécialités s’ajoutaient les Unités de Cavalerie Légère et l’Armée de l’Air fôrma une Unité de Commande Parachutistes. Les tenues, équipements et l’armement étaient identiques pour tous. Les missions également étaient assez semblables. Ce qui visuelle ment différenciait les Unités c’était d’abord la coiffure. C’est ainsi qu’en Indochine tous les paras non légionnaires portèrent le béret rouge et li Commandos Marine le Béret vert avec badge à gauche. En Algérie jusqu’en 1957 les parachutistes métropolitains (Chocs et R.C.P.) portent le bér, bleu roi puis le béret rouge. Les Parachutistes Coloniaux puis d’Infanterie de Marine portent le béret amarante. Leurs anciens de la Brigade SA avaient gagné ce béret au cours de la Seconde Guerre Mondiale, offert par les Britanniques, puis conservé en Indochine. En 1959, le béret vert di R.E.P. est officialisé. Les Commandos de l’Air adoptent le béret bleu nuit, porté par l’Infanterie de l’Air française en Grande?Bretagne en 1943 1944. Depuis 1957 tous les Régiments (R.C.P., Chocs et R. P. C. Armes et Services) portent le béret rouge. En juillet 1961, le béret rouge est suppr mé en tenue d’été. Cela durera trois ans. On fera pendant ce temps une exception pour le 14 juillet 1963 à Paris. |