20 Août 1956 : le congrès de la Soummam
Extraits de la plate-forme politique adoptée par le FLN lors du congrès de la Soummam.
La Révolution algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination.
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La Révolution algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social.
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La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l’Algérie, mais entre d’une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et d’autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition sociale.
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Les anciens partis nationalistes n’ont pas toujours accordé à cette question l’importance qu’elle mérite. Ne prêtant d’attention que pour l’opinion musulmane, ils ont négligé souvent de relever comme il convient des déclarations maladroites de certains charlatans ignares apportant en fait de l’eau au moulin de l’ennemi principal.
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C’est pourquoi, le FLN a entrepris avec succès la mobilisation de toutes les énergies nationales. Mais il ne laissera pas l’ennemi colonialiste s’appuyer sur la totalité de la minorité ethnique en Algérie, dresser contre nous l’opinion en France et nous priver de la solidarité internationale.
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Les libéraux algériens.
A la différence de la Tunisie et du Maroc, la minorité ethnique d’origine européenne a une importance numérique dont il faut tenir compte. Elle est renforcée par une immigration permanente jouissant d’une aide officielle et fournissant au régime colonial une fraction importante de ses soutiens les plus farouches, les plus obstinés, les plus racistes.
Mais en raisons de ses privilèges inégaux, du rôle qu’elle joue dans la hiérarchie économique, administrative et politique du système colonialiste, la population d’origine européenne ne constitue pas un bloc indissoluble autour de la grosse colonisation dirigeante.
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L’analyse de l’éventail politique chez les libéraux en Algérie peut être valable pour saisir les nuances de l’opinion publique en France, sujette à des fluctuations rapides en raison de la sensibilité populaire.
Il est certain que le FLN attache une certaine importance à l’aide que peut apporter à la juste cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom.
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La minorité juive
La morale universelle, d’où le FLN puise ses valeurs, favorise la naissance dans l’opinion israélite d’un espoir dans le maintien d’une cohabitation pacifique millénaire.
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Mais le déchaînement de la haine antisémite qui a suivi les manifestations colonialo-fascistes ont provoqué un trouble profond qui fait place à une sainte réaction d’autodéfense.
Le premier réflexe fut de se préserver du danger d’être pris entre deux feux. Il se manifesta par la condamnation des juifs, membres du « huit novembre » et du mouvement poujadiste, dont l’activité trop voyante pouvait engendrer le mécontentement contre toute la communauté.
La correction inflexible de la Résistance Algérienne, réservant tous ses coups au colonialisme, apparut aux plus inquiets comme une qualité chevaleresque d’une noble colère des faibles contre les tyrans.
Des intellectuels, des étudiants, des commerçants prirent l’initiative de susciter un mouvement d’opinion pour se désolidariser des gros colons et des anti-juifs.
Ceux-là n’avaient pas la mémoire courte. Ils n’ont pas oublié l’infâme souvenir du régime de Vichy. (…) Ils étaient traqués, arrêtés, internés au camp de Drancy et envoyés par wagons plombés en Pologne où beaucoup périrent dans les fours crématoires.
Au lendemain de la libération de la France, la communauté juive algérienne retrouva rapidement ses droits et ses biens grâce à l’appui des élus musulmans, malgré l’hostilité de l’administration pétainiste.
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L’action du FLN en France
La Fédération FLN en France, dont la direction est aujourd’hui renforcée à Paris a une tâche politique de premier plan pour annuler l’effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste:(…) Eclairer l’opinion publique française et étrangère en diffusant l’information à travers des supports appropriés en groupant, à cet effet, les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants.
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La population algérienne émigrée en France est un capital précieux, en raison de son importance numérique, de son caractère jeune et combatif, de son potentiel politique.
La tâche du FLN est d’autant plus importante pour mobiliser la totalité de ces forces qu’elle nécessite la lutte à outrance (contre toute division au sein des rangs de la Résistance Algérienne).
54e anniversaire du 20 Août 1956
L’Algérie célébrera le double anniversaire de la date historique du 20 Août, correspondant à la Journée du Moudjahid et le Congrès de la Soummam. La Kabylie ne sera pas en reste de cette célébration. Plusieurs festivités sont en effet, annoncées ici et là à travers les quatre coins de la wilaya. Le contraire aurait surpris plus d’un, dans ce sens que la région a tant sacrifié pour que vive l’Algérie indépendante. La Kabylie fut le bastion de la Révolution de 1954. N’est-ce pas dans cette région qu’a été organisé justement le congrès de la soummam. Un congrès auquel on reconnaît l’importance aujourd’hui pour la guerre de Libération nationale. C’est pour ça d’ailleurs que la Kabylie ne rate jamais une occasion pour fêter cette date du 20 Août. Il n’est un secret pour personne que le congrès de la Soummam qui a tracé les grandes lignes que suivra la révolution a été tenu en cette date, en 1956. Les principaux animateurs de la révolution avaient participé à ce conclave, à leur tête feu Abane Ramdane. C’est ce dernier, en fait qui a été, en effet, le principal organisateur de l’évenement avec Larbi Ben M’hidi. Sinon, les partisans du congrès sont entre autres : Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Si M’hemmed, de son vrai nom Bougarra, Si Sadek, Azzedine, Ali Mellah…tout ce beau monde en sus d’autres noms encore se sont réunis au niveau des deux villages Ighbane et Ifri dans la commune d’Ouzzelaguène. La primauté du civil sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur, constituent les principales décisions prises lors de ce congrès. Un congrès qui n’a pas fait l’unanimité au sein de la direction de la révolution. D’ailleurs, celui-ci a été boycotté par des militants de quelques autres régions du pays. N’empêche qu’il a été ponctué d’une réussite du point de vue organisationnel, mais sur le plan de l’impact qu’il aura sur la révolution. Depuis, le congrès de la Soummam fait la fierté de toute la région. La Kabylie célèbre, en effet, cette date historique dans la dignité à travers les manifestations culturelles et autres qu’elle initie. Cette année, les choses ne changeront pas malgré que cet anniversaire intervienne durant le mois de Ramadan. En effet, plusieurs manifestations sont annoncées pour les journées d’aujourd’hui et de demain. C’est le cas pour le village Takana, dans la commune d’Aït Yahia qui abritera deux jours durant des festivités à l’occasion. Un riche programme a été concocté par l’Association locale Thafra qui est derrière cette manifestation en collaboration avec l’APC. Au menu, des conférences, de la musique, des prises de parole… ainsi qu’une conférence-débat avec les Moudjahiddine pour aujourd’hui, à partir de 22h. Pour demain, les organisateurs annoncent un rassemblement au niveau du village Taka. Un village qui aura désormais sa propre stèle laquelle sera inaugurée demain. Les festivités se poursuivront durant toute la journée. Par ailleurs, la sûreté de la wilaya de Tizi Ouzou annonce également un programme assez riche aussi pour l’occasion. En somme, la Kabylie vibrera ce week-end au rythme de la mémoire et de la fidélité.
Lettre de Abane Ramdane annexée au PV du Congrès de la Soummam : “Un nouveau chapitre de la révolution algérienne s’ouvre”
La Révolution algérienne aura bientôt deux ans. Durant ce laps de temps relativement court, un travail gigantesque a été accompli. Sur le plan militaire, les petits groupes de l’Armée de libération nationale mal armés, isolés les uns des autres, ont non seulement tenu en échec les forces formidables du colonialisme français, mais fait taches d’huile à tel point qu’aujourd’hui, ils contrôlent tout le territoire national. Désormais, la jonction entre tous nos groupes (Oranais, Algérois et Constantinois) est réalisée. Sur le plan politique, tous les partis et groupements (à l’exception du minuscule MNA de Messali) sont venus s’intégrer dans les rangs du FLN, qui est devenu aujourd’hui, l’unique force politique en Algérie. Sur le plan social, le syndicalisme national est né et en plus une force avec laquelle la France devra compter.
A l’extérieur, la délégation du FLN, renforcée par de nouveaux éléments partis d’Algérie, mène avec succès le combat contre la diplomatie française. Devant cette extension prise par notre révolution, une réunion des principaux responsables nationaux s’imposait. Cette réunion s’est tenue. Elle s’est tenue malgré la présence des 600 000 soldats français, malgré le quadrillage Mollet – Lacoste dans la » Zone pacifiée » de la Kabylie. Durant 15 jours, les dirigeants oranais, algérois et constantinois ont pu travailler en toute sécurité dans la vallée de la Soummam, au milieu des » populations qui se rallient tous les jours à la France « . Des décisions très importantes, touchant tous les domaines, ont été arrêtées. Elles seront rendues publiques incessamment. Un nouveau chapitre de la révolution algérienne s’ouvre. Notre lutte va prendre de l’allure maintenant que l’ALN est devenue une véritable armée dotée d’une personnalité propre, d’un haut commandement unique dont le siège est quelque part en Algérie, d’un uniforme, d’insignes, de grades, etc. Ses différents services (liaison, renseignements, intendance, commissariats politique, etc.) ont été réorganisés. De même, le FLN a été complètement réorganisé. Sa ligne politique a été redéfinie. Ses objectifs immédiats et lointains ont été fixés. Sa présidence sera désormais connue. Les noms des dirigeants de tous nos organismes de direction seront rendus publics. Les dirigeants français déchanteront vite et sous peu. Leur statut » octroyé » sera un mort-né. Leurs dernières illusions s’évanouiront. La Révolution algérienne n’aura pas fini de les étonner. A Robert Lacoste, qui nous promet des élections en octobre dans la » Zone pacifiée » de la Kabylie, nous répondrons que nous serons au rendez-vous. Nous lui donnons de notre côté, rendez-vous devant l’ONU en novembre prochain, et le monde verra qui, de-la France ou du FLN présentera le bilan le plus positif. Guy Mollet veut à tout prix des élections. Nous tenons à l’aviser que l’administration du FLN organisera, avant la session de l’ONU, des élections pour la désignation des Assemblées du peuple, non seulement en Kabylie mais dans toute l’Algérie. La presse française et étrangère pourra venir assister au déroulement des opérations électorales. Ainsi, avec la phase actuelle de lutte, nous entrons dans la période d’insécurité générale qui nous débrasera à jamais du colonialisme français.
PARTIE 1 : LE PLAN DE ZIROUT
le 20 Aout, 2010 | 1106 lecture(s) | Voir Réactions
« Mettez la révolution dans la rue, vous la verrez reprise par tout un peuple. » Larbi Ben M’hidi (1923-1957) Si l’insurrection du 1er novembre 1954 a marqué le déclenchement de la Révolution algérienne, celle du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois fut une étape décisive dans l’histoire de la lutte de libération nationale algérienne. Par son ampleur, son caractère populaire mais aussi par la colère qui la portait, l’offensive du 20 août 1955 marqua profondément la Révolution algérienne. L’entrée en scène des masses rurales fit irrémédiablement basculer l’Algérie dans le camp de la Révolution.
Après l’insurrection du 1er novembre, la situation était difficile pour le Front de Libération Nationale (FLN) et pour sa branche militaire, l’Armée de Libération Nationale (ALN) (photo ci-dessus). Si l’ALN parvint progressivement à gagner la confiance de la population, elle devait faire face avec des moyens rudimentaires à une armée organisée et puissamment équipée. Principalement concentrée dans les Aurès au moment du déclenchement de la Révolution, l’ALN étendit son action au Nord-Constantinois et à la Kabylie à partir de la fin de l’année 1954. Face à cette montée en puissance de l’ALN, les autorités françaises firent passer le nombre d’hommes déployés en Algérie de 50.000 en novembre 1954 à 80.000 en février 1955. Ces hommes étaient principalement concentrés dans les Aurès qui restaient le principal foyer de l’insurrection. De plus, le FLN avait perdu certains cadres de premier plan au début de l’année 1955 : responsable du Nord-Constantinois, Mourad Didouche fut tué au cours d’un accrochage le 8 février 1955 ; respectivement responsables des Aurès et de l’Algérois, Mostefa Ben Boulaïd et Rabah Bitat avaient été arrêtés le 14 février 1955 à la frontière tuniso-libyenne pour le premier et le 23 mars 1955 à Alger pour le second.
Alors que le FLN remporta une victoire diplomatique sur la scène internationale en participant à la conférence de Bandung en avril 1955, l’ALN passa à l’offensive dans le Nord-Constantinois au printemps de la même année. Des actions armées furent lancées sur Philippeville et Bône et le 8 mai, dix ans après les massacres de Sétif et de Guelma, la première bombe éclata dans la ville de Constantine. Le 10 mai, la commune El Milia fut encerclée par des moudjahidin de l’ALN. Des routes furent coupées et des postes de gendarmerie attaqués (1). Toutefois, la population n’était pas encore activement engagée dans le processus révolutionnaire visant à renverser la domination coloniale.
Face à la montée en puissance de l’ALN, les autorités françaises intensifièrent la répression. Le 3 avril 1955, la loi sur l’état d’urgence permettant, notamment, la création de camps d’internement fut mise en application. La loi fut d’abord appliquée dans les Aurès, en Kabylie et dans l’Est-Constantinois à partir du 4 avril puis étendue à l’ensemble du département de Constantine et à certaines communes des départements d’Alger et d’Oran le 16 mai 1955. La répression s’étendait à mesure que le FLN déployait son action. Sur le terrain, les parachutistes français passèrent à la contre-offensive en appliquant une politique de répression collective meurtrière contre le peuple algérien. Cette politique répressive était faite d’expéditions punitives, d’exécutions sommaires et de destructions de mechtas (2).
Dans le Nord-Constantinois, dirigé par Youssef Zighoud depuis la mort de Mourad Didouche, les cadres de la zone II décidèrent de mettre sur pied un plan visant à répondre à la répression et à impliquer l’ensemble du peuple algérien dans la lutte de libération nationale. Insistant sur l’importance de cette implication, selon Salah Boubnider, Youssef Zighoud mettait l’accent sur la nécessaire auto-libération du peuple algérien. Le dirigeant du Nord-Constantinois affirmait à ses hommes : « C’est au peuple de se libérer lui-même. Nous ne sommes pas leurs libérateurs. Nous ne faisons que l’organiser. La responsabilité lui revient. De deux choses l’une : ou il se libère ou il coule. » (3)
Du 25 juin au 1ier juillet, Youssef Zighoud convoqua une conférence générale de la zone II afin de mettre sur pied un plan insurrectionnel. Les participants discutèrent de la situation de la Révolution algérienne tant à l’intérieur qu’à l’extérieur mais aussi des luttes de libération dans l’ensemble du Maghreb. En plus de vouloir impliquer l’ensemble du peuple algérien, les participants mirent en avant la nécessité d’affirmer les liens de solidarité existant entre les différents pays du Maghreb en lutte pour leur libération. Pour cela, l’insurrection fut fixée au 20 août ; date anniversaire de la destitution et de la déportation du sultan marocain Mohammed V par la France en 1953 (4). Cette date se voulait un symbole manifestant la fraternité d’armes entre militants nationalistes des différents pays du Maghreb.
Le plan insurrectionnel de Youssef Zighoud était simple. Il consistait à lancer des offensives, en attaquant les postes militaires et en déferlant sur les villes et les villages, dans tout le Nord-Constantinois. Durant les offensives, les moudjahidin de l’ALN devaient encadrer des paysans sommairement armés. Youssef Zighoud avait déjà lancé des attaques de paysans encadrés par des moudjahidin dans certains points du Nord-Constantinois. Il s’agissait donc de généraliser ce type d’actions dans l’ensemble de la zone II. La préparation active débuta dans les premiers jours d’août par une campagne de sensibilisation des paysans et un stockage de matériel nécessaire à l’insurrection. Des listes de collaborateurs travaillant avec les autorités françaises furent dressées. Sept jours avant l’insurrection, les hommes furent regroupés en différents points de la zone II et les instructions furent précisément données.
Youcef Girard